Le choix des matériaux

Dans mon travail, je mets un point d’honneur à préférer des matériaux naturels aux produits généralement utilisés dans mon corps de métier, soi-disant peu chers, très efficaces et modernes. Je ne vois pas l’intérêt d’utiliser du diluant nitrocellulosique ou de la colle néoprène quand je peux utiliser des produits naturels plus rares certes, mais aussi plus performants et beaucoup moins nocifs ! La colle d’os et la colle de peau de lapin, supposément primitives, font preuve d’une complexité chimique formidable et se révèlent extrêmement résistantes sur le long terme. Je vous renvoie ici aux colles utilisées pour sceller les sarcophages dans l’Égypte antique…

Il s’agit aussi pour moi de faire de la récup’ et d’utiliser des bois, des cordes, des épaves de pianos qui attendent leur heure dans mes ateliers. Je m’approvisionne également en bois indigènes. Pas besoin d’aller chercher du spruce alors que j’ai du buis normand à portée de main à quelques kilomètres de mes ateliers ! Pour moi, passer par un circuit court et faire marcher une économie circulaire relèvent d’une responsabilité personnelle bien naturelle. Cela prend de plus une nouvelle dimension dans mon boulot : je suis convaincu que le mélange et l’irrégularité des matériaux apportent à un piano une réelle authenticité, un charme supplémentaire, une anomalie avantageuse en quelque sorte. Le grain du son de la corde, par exemple, dépend directement de ses défauts.

Je déplore l’obsession pour la copie aujourd’hui généralisée dans l’industrie du piano. Copier la forme et le son d’un piano ancien prend une dimension anti-artisanale que je condamne fermement. Formatage des matériaux pour exclure toutes irrégularités, procédés de vieillissement artificiels pour « faire d’époque », faux trous dans le meuble…

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On touche là du doigt l’absurdité de la modernité. Je refuse ce diktat de la copie. S’il fallait filer la métaphore, je dirais que mon pianoforte relève davantage du pastiche. J’utilise la même forme avec des matériaux contemporains, je mélange des bois neufs et vieux. Mais je crée un piano dont le son aurait pu exister à l’époque, en misant tout sur les procédés physiques : tension, poids et dimensions des cordes, longueur et diamètre du meuble pour retrouver la puissance sonore et le caractère du piano. Impur sur la forme peut-être, mais pur dans l’esprit, c’est bien ça qui me plaît.

D’un point de vue artistique, tout a droit de cité. La musique n’est pas une science exacte.