Voyage à Majorque – Mise au monde des Préludes

chopin

En 2015 eut lieu dans nos ateliers un concert-lecture mettant à l’honneur des passages d’Un hiver à Majorque de George Sand, les Préludes opus 28 de Frédéric Chopin et quelques extrait d’Ainsi parlait Zarathoustra de Frédéric Nietzsche. En voici quelques extraits :

MUSIQUE : Préludes n° 15

George Sand

Quelques-uns unes de ses compositions sont encore comme des sources de cristal où se mire un clair soleil. Mais qu’elles sont rares et courtes ces tranquilles extases de sa contemplation !

Sensible un instant aux douceurs de l’affection et aux sourires de la destinée, il était froissé des jours, des semaines entières par la maladresse d’un indifférent ou par les menues contrariétés de la vie réelle. Et, chose étrange, une véritable douleur ne le brisait pas autant qu’une petite. Il semblait qu’il n’eut pas la force de la comprendre d’abord et de la ressentir ensuite. La profondeur de ses émotions n’était donc nullement en rapport avec leurs causes. Quant à sa déplorable santé, il l’acceptait héroïquement dans les dangers réels, et il s’en tourmentait misérablement dans les altérations insignifiantes. Ceci est l’histoire et le destin de tous les êtres en qui le système nerveux est développé avec excès.

Prélude 12

George Sand

Notre séjour à la Chartreuse de Valdelmosa fût donc un supplice pour lui et un tourment pour moi. Doux, enjoué, charmant dans le monde, Chopin malade était désespérant dans l’intimité exclusive.Et rien de tout cela n’était sa faute à lui. C’était celle de son mal. Son esprit était écorché vif ; Le pli d’une feuille de rose, l’ombre d’une mouche le faisait saigner. Excepté moi et mes enfants tout lui était antipathique et révoltant sous le ciel d’Espagne. Il mourait de l’impatience du départ, bien plus que des inconvénients du séjour.(…)

Je ne suis pas de ceux qui croient que les choses se résolvent en ce monde. Elles ne font peut-être qu’y commencer, et, à coup sûr, elles n’y finissent point. Cette vie d’ici-bas est un voile que la souffrance et la maladie rendent plus épais à certaines âmes, qui ne se soulève que par moments pour les organisations les plus solides, et que la mort déchire pour tous.

MUSIQUE : Prélude n° 22

Aparté 

Nietzsche nous a parlé de Chopin en écrivant :

Chopin l’inimitable, seul de sa lignée, aucun musicien avant et après lui n’a droit à ce qualificatif. Chopin avait une élégance princière de convention quant aux règles mélodiques et rythmiques. Il les faisait valoir en tant qu’héritières de la grande tradition, mais comme l’esprit le plus libre et le plus gracieux jouant et dansant dans ses chaînes et ce sans jamais les tourner en dérision. Presque toutes les situations et manières de vivre ont un moment de bonheur. C’est lui que les bons artistes savent prendre au filet. Ainsi en va –t-il de la vie au bord de la mer : elle si ennuyeuse, si crasseuse, si malsaine, dans la proximité de la plus bruyante, de la plus cupide canaille ce moment de bonheur Chopin l’a si bien fait chanter que les dieux eux-mêmes pourraient y prendre plaisir allongés dans une barque dans les longues soirées d’été.

Prélude 11

Nietzsche a continué à jouer du piano même après avoir perdu la raison.

 Et puis, nous avons trouvé une lettre dont nous allons vous lire un extrait. Elle est fausse (je crois) mais ne le dites à personne ou bien à tout le monde. Elle détourne des phrases de Zarathoustra, cette œuvre pour tous et pour personne…

Le bonheur est grand de piller Nietzsche comme d’interpréter Chopin quand cela est fait avec passion.

Cette lettre la voici : « Cher Frédéric, Hier j’ai fait un songe que je veux te raconter : je m’étais envolé trop loin dans l’avenir quand un frisson d’horreur m’a saisi. J’ai vu un monde où ta musique était produite par des machines que l’on pouvait écouter dans n’importe quel lieu sans que personne ne la joue. Utilisée, rabâchée, reproduite comme les miroirs déformants reproduisent une image. Comme si ce pullulement, cette prolifération voulaient épuiser ta volonté créatrice, comme si ce pullulement et ses déformations voulaient te rendre méconnaissable. En vérité ces hommes modernes étaient devenus des hommes-machines, des infirmes appareillés pour entendre, pour parler, pour marcher ou pour écrire. Pour ta grande âme garde ton seul piano et ta petite pauvreté. Celui qui possède peu est d’autant moins possédé. Garde ta foi dans les étoiles, chante ton chant qui est nécessaire car la musique est l’activité proprement métaphysique de cette vie.

Musique : Nietzsche : Fragment an sich

Nietzsche, Le Chant Nocturne

_ La nuit est là : maintenant toutes les fontaines jaillissantes parlent plus fort et mon âme est une jaillissante fontaine.

_ La nuit est là : voici que s’éveillent tous les chants des amoureux. Et mon âme aussi est un chant d’amoureux. Un désir d’amour est en moi qui parle lui-même la langue d’amour.

_ Je ne connais pas la joie de celui qui reçoit et souvent j’ai rêvé que le bonheur de piller était plus grand que celui de recevoir. C’est ma pauvreté que jamais ma main ne se repose de donner ; c’est ma jalousie que je voie des yeux qui attendent et les nuits illuminées de désir.

_ Ô Infortune de tous les créateurs, Ô obscurcissement de mon soleil, Ô désir de désirer, Ô ardente faim dans la satiété !

_ Ils prennent ce que je leur donne mais est-ce que je touche encore leur âme ? Un abîme existe entre donner et recevoir, et le plus petit abîme est le plus difficile à surmonter.

_ La nuit est là : oh ! Faut-il que je sois lumière ? Et soif du nocturne ! et solitude !

_ La nuit est là. Cela jaillit comme une source de moi, mon exigence, exigence de parole.

_ La nuit est là : voici maintenant que toutes les fontaines jaillissantes parlent fort et mon âme est aussi une fontaine jaillissante. La nuit est là : maintenant pour la première fois s’éveillent les chants d’amoureux, et mon âme aussi est le chant d’un amoureux.

Nietzsche : So lach doch mal

Nietzsche, Le convalescent

_ N’en dis pas plus, toi convalescent ! Va plutôt dehors où le monde t’attend pareil à un jardin.

Va vers les roses, les abeilles et les vols de colombes !

Mais surtout chez les oiseaux chanteurs que tu apprennes d’eux le chant.

Chanter, en effet est pour les convalescents ; le bien portant lui, peut parler. Et s’il veut des chants, le bien portant, il veut d’autres chants encore que ceux du convalescent.

_ Comme vous savez bien quelle consolation je me suis inventée pour moi-même en sept jours !Qu’il me faille de nouveau chanter, c’est la consolation et la guérison que j’ai trouvée.

Ma souffrance et ma compassion qu’est-ce donc ?

Est-ce au bonheur que j’aspire ? J’aspire à mon œuvre !

Prélude 23

_ Ne dis plus rien Toi, le convalescent, fais-toi d’abord une lyre, une nouvelle lyre. Car vois-tu, tes chants nouveaux exigent de nouveaux instruments.

Chante et exulte toi, le créateur, guéris ton âme par de nouveaux chants pour que tu portes ton grand destin qui ne fut celui d’aucun autre homme encore. (…)

MUSIQUE : Prélude n°24

FIN